15/06/2016

Le temps, ce cercle infernal: Cent Ans de Solitude

Gabriel Garcià Màrquez

Ecrit en 1967, le roman de Gabriel Garcìa Màrquez Cent Ans de Solitude est fou, beau, imprévisible, incompréhensible et franchement génial. Il retrace l’histoire de la création de la ville fictive de Macondo en Amérique du Sud, et la destinée de la famille Buendià sur environ sept générations. Increvables, déterminés, nombreux, les Buendià font la guerre, la fortune de la ville, et surtout cherchent un sens à leur vie. Pour moi, c’est la représentation parfaite de ce qu’on appelle le réalisme magique, un genre propre à la littérature latino-américaine. L’histoire mêle réalité et fiction tellement bien qu’on ne semble pas s’inquiéter de la vraisemblance de certains évènements : les fantômes, les épidémies d’insomnies de dix ans, les périodes continues de pluie et de sécheresse, et puis la longévité des personnages.

Seulement, la ville a été condamnée par un gitan, Melquiades, à cent ans de solitude. Le temps est un élément important dans ce roman : il ne se déroule pas normalement, mais c’est un cycle, il n’est pas vraiment régulier mais un peu déréglé et bizarre. On finit par croire qu’il n’existe pas. Malgré les personnages qui vieillissent, rares sont ceux qui meurent de vieillesse, et il n’est pas rare de croiser des femmes de 150 ans ou même des fantômes qui reviennent dans leur demeure poursuivre leurs vies comme s’ils n’avaient pas disparu. En cent ans, Macondo évolue, s’ouvre au monde extérieur puis se renferme. Guerres, massacres, il semble que la ville survit à tout.

Ce livre a été pour moi interminable, je n’ai pas vu le temps passer en le lisant et je n’avais pas du tout l’impression d’avancer dans ma lecture. Mais pas de manière négative : cela n’a fait que renforcer l’effet d’un temps figé, solitaire, qui recommence et ne s’arrête jamais. Les générations, les événements, tout se répète et le temps n’est qu’un cycle sans fin qui ne peut cesser à cause de la malédiction. Cela ne fait que renforcer le mystère qui persiste autour de la ville et de la famille Buendià.


Ce n’est pas un livre à lire en un weekend ; mais il faut prendre son temps, réussir à imaginer l’histoire sans fin et cette famille un peu spéciale dans la tête, il faut faire attention à l’écriture délicate et aux évènements farfelus mais si crédibles dans un tel environnement. Cent Ans de Solitude est magique et il faut en profiter, le respecter et le voir comme le chef d’œuvre qu’il est. Bien que mes goûts littéraires en soient bien éloignés, je dois avouer que ce roman a su prendre une place dans mon cœur bien plus importante que ce à quoi je m’attendais. 

A. H.  

28/05/2016

Mes parents sont des espions: The Americans



Un autre moyen d’appréhender l’histoire de la Guerre Froide, et une nouvelle bonne excuse pour passer des heures à ne rien faire (ça fonctionne), la série The Americans de FX est vintage, rafraîchissante, même si un peu stressante. Elle raconte l’histoire de deux agents soviétiques du KGB sous couverture aux Etats-Unis au début des années 1980. Elizabeth et Philip Jennings n’existent pas vraiment ; c’est une identité qu’ils ont adoptée pour passer inaperçu et voler des informations au gouvernement américain, qu’ils transmettent ensuite à leur pays pour que la guerre silencieuse continue.

Avec deux enfants, Paige et Henry, qui ne savent rien de cette réelle identité, garder le secret s’avère encore plus difficile. Elizabeth et Philip mènent une double vie, entre la maison, leur supposé travail en tant qu’agents de voyage, et leurs nombreuses missions plus ou moins dangereuses que leur gouvernement leur demande d’accomplir. La série commence avec l’emménagement d’un agent du FBI, Stan Beeman, en face de chez eux, et il devient un peu plus difficile de jouer le jeu et de ne pas se faire repérer. Mais les russes, bien entraînés, ne se font pas avoir et malgré les premiers doutes de Beeman, une vraie « amitié » semble se développer.

J’admets qu’il est possible de trouver cette histoire farfelue, mais elle est basée sur des faits réels et qui ne se sont pas arrêtés à la fin de la Guerre Froide : le programme des Illégaux du KGB a atteint son apogée aux Etats-Unis en 2010. Et la Guerre était loin d’être terminée (que l’on croit). Certes, l’histoire est romancée, mais on peut tout de même comprendre les enjeux des déguisements, des missions, des mensonges. Si les américains sont connus pour être (un peu trop) patriotes, les russes ne le sont pas moins, mais dans un sens un peu plus profond et bien plus sérieux. Se battre pour la cause, jusqu’à en mourir, voilà ce à quoi les agents du KGB hyper-entraînés se préparent.

Je ne pourrais pas assez recommander cette série. Elle est d’un sérieux qui dépasse l’entendement, et on ne peut qu’admirer l’agilité des « américains » à se construire une vie de rien, à en vivre plusieurs à la fois pour ne pas compromettre leur identité, à admirer leur agilité physique et mentale également, car rien ne leur échappe.

L’ignorance des enfants toutefois, fait un peu de peine à voir : ils pensent que leurs parents sont toujours en train de travailler et ne les aiment pas, et ne comprennent pas pourquoi ils sont ainsi abandonnés chaque soir sous prétexte qu’ils doivent retourner au bureau, alors que réellement leurs parents protègent une chose qui leur est chère, et encore plus que leurs enfants, la cause.

La force de l’idéologie est impressionnante, que ce soit du côté russe ou américain. Il ne faut jamais se relâcher, jamais cesser d’avoir peur et d’être méfiant, car au moindre relâchement, tout peut être terminé, et les opérations compromises, ainsi que leur identité et leur famille. Keri Russell et Matthew Rhys, qui jouent Elizabeth et Philip, sont particulièrement surprenants et justes dans leurs rôles et ne cessent de m’étonner à chaque rebondissement. Ça donnerait presque envie de se prendre des coups pour défendre son pays (ou de voir d’autres gens se prendre des coups pour défendre leur pays, dans le confort de son canapé).


A.     H. 

25/05/2016

Les premiers Dumont



Triste, gris, sale, cru, violent, dur, froid.  Voilà ce qui ressortait y a quelques années lorsqu’on parlait du cinéma de Bruno Dumont. Oui ce Dumont-là. Celui qui a tourné la série comique (certes sur Arte) P’tit quinquin, et qui aujourd’hui fait l’amour de la critique avec son Ma loute au Lucchini luchinesque, aux gags explosifs et à l’humour dévastateur. C’est pourtant le même bonhomme qui à chacun des bouts de sa vie de cinéaste tient la caméra et scrute en de longs plans élégants, des visages taillés aux couteaux et les paysages découpés par les vents. Le même bonhomme qui en 97 et 99 sortait L’humanité et La vie de jésus, deux films sur lesquels en bon poseur qui ne veut pas faire comme tout le monde (surtout s’il est d’accord avec ce tout le monde), je voudrais parler.

Ses deux premiers films sont quasiment les mêmes. Ça se passe dans une grande rue d’un petit village du Nord. Deux gueules y vivent avec leur grasse maman, aux petits soins pour le seul homme qui leur reste. L’un est un flic à la candeur et l’intelligence douce d’un agneau, l’autre est un gosse paumé, sans emploi et ne faisant rien de ses trop longues journées. Le premier enquête sur un crime horrible, l’autre le commettra par racisme, chagrin d’amour, par ennui.

Derrière ces facies fermés, crépite, frémit, fermente leur ressentiment pour un monde vide où l’on tourne en rond et croise les mêmes personnes. Tout est aussi banal que fatal et de la mécanique de leurs mouvements, la caméra scrutatrice de Dumont décèle comme chez les modèles bressonniens les signes trahissant une vie enfuie. Ça tourne en rond, et les mêmes plans se répètent sans jamais être les mêmes, motif répété à l’envie de scènes d’amour cru et creux ou de virées assourdissantes en mobylette.

Ce que filme Dumont, ce qu’il épie dans les moindres palpitements de l’épiderme, dans les tics involontaires de ses acteurs, c’est un poids invisible qu’ils trainent malgré eux. Le poids du désœuvrement, de l’absence de tout divertissement, de la finitude et de la mort qui leur fait face dans ses grands ciels et ces longs paysages mornes où se dispute des dégradés d’un vert mouillé. Baigné de lumière comme chez Hopper, ces figures christiques n’ont plus qu’à porter leur croix. La croix d’un passé douloureux, d’un grand père fameux, et de son désir irréalisable envers Domino dans L’humanité, la croix d’un futur inexistant dans La vie de jésus.


Pas de révolte possible, juste des soubresauts et ses victimes collatérales. Et dans les yeux de Dumont toujours un humanisme, forcené pour ces personnages dont il cherche à sentir la vérité et l’enfermement. Et en cela son cinéma comme tout cinéma est politique. Il cherche l’individu dans sa nudité et sa misère, et en fait un martyre. La misère sexuelle est intellectuelle dans un monde où la seule fenêtre sur l’extérieur est une télévision mal réglée, sont alors autant de clous invisibles et l’inertie de sa caméra autant d’impossibles changements. Dans le monde Dumont, les sexes doivent se rencontrer et les grèves se terminer. Au mieux on peut tout juste s’enfuir dans l’herbe ou s’écraser la face contre terre. 

Victor

02/05/2016

A la recherche de l'identité: Persépolis


  

Je n’aime pas les BD. Les comics. Peu importe le nom que cela prend. J’ai lu les Schtroumpfs, certes, et c’était fort amusant. Mais c’est tout. J’ai toujours préféré les romans, même pour les histoires les plus simples. Une bande dessinée ne se prend pas au sérieux, et ça ne peut pas être assez riche pour me satisfaire. Quand on préfère lire Zola, l’absence de toute réflexion et de longs paragraphes est plutôt angoissante. Mais voilà, c’est (presque) forcée que j’ai dû ouvrir celle-ci, Persépolis. Ecrite entre 2000 et 2003 par Marjane Satrapi, elle retrace une histoire supposée autobiographique de l’auteure, son enfance en Iran puis son exil en Autriche, et enfin son retour au pays natal.

Comme au fond de moi je suis un peu réactionnaire et que je pense que la littérature doit s’écrire et non se dessiner, la forme m’a déplu, même si pour des raisons plutôt profondes elle fait sens. Je dois dire que je suis légèrement déçue, car cette histoire aurait pu être développée et approfondie. Toutefois, elle m’a touchée.

La petite Marji grandit lors de la Révolution Islamique, dans un pays centré sur la religion et l’oppression. Elle reçoit une éducation française, libérée de tout précepte islamique. Lorsque tout change, elle doit sacrifier son identité et son apparence pour correspondre à des standards établis par l’état. Mais même voilée, Marjane ne cache pas son admiration et son amour de la culture de masse américaine et ses idoles. La violence augmente, et ses parents décident de l’envoyer en Autriche, là où elle pourra être saine et sauve. Là-bas, Marjane découvre un autre monde, une autre culture, et essaye de se forger une identité en imitant les autres et en se conformant à ce qu’elle voit, même si ce n’est pas toujours le même chemin à prendre. Elle se drogue, fume, se « libéralise », mais elle se demande finalement si elle sait très bien qui elle est. Etre en exil, sans sa famille, se retrouver dans un entre-deux culturel et politique, est-ce finalement bien bon pour se découvrir soi-même ? Surtout que pour Marjane, cette recherche d'identité s'effectue à deux niveaux: elle cherche à découvrir à quelle culture elle appartient, mais aussi quelle sorte de femme elle est et veut être. 

Même si je ne suis personne de juger de cette question parce que je n’ai jamais vécu dans de telles circonstances, je répondrais toutefois qu’il est complexe de se construire lorsqu’on vit dans des environnements si contradictoires. Alors qu’on ne sait même pas où se trouve notre foyer, comment savoir qui on est réellement ? Marjane cherche son identité mais ne la trouve pas tout de suite, la construction prend du temps et est douloureuse.

La lecture de cette bande dessinée me laisse perplexe. J’ai vraiment apprécié l’histoire et le message qu’elle transporte, mais je suis déçue de ne pas avoir obtenu plus de cette lecture. Toutefois, je suis finalement plutôt contente d’être sortie de mes habitudes et d’avoir essayé quelque chose de nouveau et qui, malgré ses « défauts », m’a énormément émue !


A.     H. 

24/04/2016

Downton Abbey, la fin d'une ère

Sans spoilers, affiche de la première saison

La fin d’une ère… peut-être pas pour vous, pas non plus pour la télévision ni les drames historiques, peut-être pour personne en fait, mais pour moi certainement. Je ne me rappelle pas exactement pourquoi j’ai commencé de regarder cette série, ni quand, mais il me semble que cela remonte à deux ans, lorsque j’étais en prépa (il faut bien se divertir de temps en temps). Alors, il y a deux ans, j’ai regardé les trois premières saisons le plus vite possible. Parce que tout était déjà là, comment me restreindre ?
Impossible en effet d’éviter l’excitation d’un nouvel épisode ou d’une nouvelle saison. Et pourtant, je ne pense qu’aucune série n’a eu le même effet sur moi que celle-ci. Si vous n’en avez jamais entendu parler : tout d’abord, et je tiens à le dire, quelle honte. Ensuite, c’est pas très grave, vous pouvez y remédier. Rapidement. Maintenant.
Downton Abbey est un drame historique qui commence pile poil lorsque le Titanic coule pour de vrai, en 1912, et suit les évènements quotidiens d’une famille d’aristocrates britanniques et de leurs domestiques, en temps de paix et de guerre, jusqu’à la fin de l’année 1925. A mon avis (très objectif), cette série a un peu tout ce qu’il faut. De la politique, du drame british bien caractéristique, des histoires d’amour, des manigances et de l’humour (surtout celui de Lady Grantham, interprétée par Maggie Smith, notre bien-aimée McGonagall). Beaucoup de tristesse aussi…
Il ne faut pas se mentir, cette série absolument géniale a certainement eu raison de la plupart de mes larmes ces dernières années. Si ce n’est 90%. Après des années de n’avoir jamais voulu qu’elle se termine, voilà que ce soir, après avoir attendu quelques mois avant d’avoir le courage de regarder le dernier épisode, finalement la fin est là. Et elle m’accable. La sixième et dernière saison est peut-être la plus émotionnelle de toutes : si j’ai pu pleurer lors des autres saisons (préparez les mouchoirs pour la troisième), ça n’a jamais été aussi régulier que pour celle-ci, où mes pauvres yeux y passaient à chaque épisode. Trop de souvenirs, d’émotions.
Même si je ne peux que jeter des fleurs sur absolument tout (la réalisation, les dialogues, les costumes, et les acteurs), il faut quand même admettre que cette dernière saison était très bien organisée pour pouvoir permettre une fin heureuse à tous les personnages. On ne s’y attendait pas vraiment, mais tout finit bien. Finalement, à Downton, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, on trouve des solutions à tous les problèmes et la modernité s’installe tranquillement dans un monde fixé dans des traditions datées.
Les personnages ont grandi et ont souffert (moi aussi), et je pense qu’il est absolument intéressant et excitant de les voir évoluer dans un contexte historique que l’on peut facilement identifier. On apprend beaucoup. Mais surtout, on rigole, on est triste, et puis très souvent, je pleure. Il est fascinant également de voir évoluer dans leur « habitat naturel » une famille et des domestiques d’une manière que l’on n’aurait jamais pu imaginer avant, ainsi que leur interactions sociales et personnelles.
Il est fort probable que mes réactions soient un peu too much. Je ne sais pas trop pourquoi. La seule chose que je peux dire est : si vous n’avez rien à faire, si vous avez quelque chose à faire, arrêtez tout dans votre vie, et regardez cette série. Elle pourra vous faire rire et pleurer (ou rigoler en vous étouffant dans vos pleurs, ça marche aussi), et vous aimerez quand même. Et puis disons que les acteurs et les paysages sont plutôt pas mal non plus.

Highclere Castle en Angleterre, ou "Downton Abbey"


A. H


06/04/2016

Eisenstein à la moulinette freudienne




















La lecture de la « psychobiographie » d’Eisenstein de l’académicien Jérôme Fernandez a été pour moi l’occasion de me replonger dans la filmographie du plus grand génie russe du cinéma. Eisenstein, dont le cinéma (d’autant plus aujourd’hui) est un des seuls cinémas proprement révolutionnaire mais aussi un cinéaste dont la révolte se loge au plus profond de son intimité. Et en ces périodes d’ébullition dans la capitale française, voir Octobre et les soldats se préparer à la prise du palais d’hiver littéralement à deux pas de mon appartement pétersbourgeois, semble un clin d’œil amusé.

Eisenstein c’est la révolution, la confrontation des images, une dialectique montée au rythme d’un train soviétique dont jaillit le grand soir, un petit bout de vrai dans le gris des fumées des usines pétersbourgeoises. Ce sont des mouvements qui au lieu de s’élancer dans le vide, se confrontent entre eux, et par leurs étincelles mettent le feu à la poudre entreposée par les années d’un empire paternaliste. Tantôt d’une pureté et d’une clairvoyance matérialiste, tantôt d’un lyrisme quasi mystique, son cinéma autant que ses textes à la culture éclectique, réussi alors un tour de force. Il pointe au fond de nous, le refoulé, le contenu et donne pour échappatoire la sublimation de ces désirs dans le jaillissement d’une une révolution fantasmée, violente mais libératrice.

Et c’est là un des tours de force de Jérôme Fernandez, de nous montrer comment cette glorification de la révolution, et cette conviction de la nécessité du renouveau exorcisent des hantises intimes bien loin des masses et de leur inéluctable mouvement historique. Que ce soit dans la Potemkine qui fend canon dressé, la flotte qui finalement se rallie à lui, dans le plus que parlant bec de l’écrémeuse duquel surgit enfin la goutte de lait tant attendue, ou enfin la déconstruction puis la reconstruction de l’immense statue du Tsar Alexandre, l’auteur voit l’image du père défaillant et pourtant impossible à remplacer, le conduisant à contenir une sexualité s’exprimant alors de manière détournée dans la glorification du jaillissement de la révolution.

Et loin de diminuer la portée de l’œuvre d’Eisenstein, et même si on peut relativiser cette propention toute freudienne à trouver à peu près n’ importe où des symboles phalliques, le bouquin de Fernandez tente de percer le mystère de la création et l’approche de près. Loin du « souffle divin » grecque, l’originalité formelle d’Eisenstein qui nous montre encore aujourd’hui que l’héritage petit bourgeois de Griffith n’est pas la seule à pouvoir fonder le cinéma, se niche au plus profond de la psyché du créateur. Alors si vous êtes un admirateur d’Eisenstein et si vous voulez comprendre d’un peu plus près la création qui bien souvent naît de considération bien concrète, plongez-vous dans l’œuvre d’Eisenstein mais lisez aussi cette biographie. La cinéphilie ce n’est pas qu’avaler des films c’est aussi savoir les lire.

V. D.



28/03/2016

And the waltz goes on...




Toute personne normale pourrait croire que 8 ans de solfège et plus de 14 ans de pratique de la musique m’auraient dégoûté du classique, mais en fait non. Durant mes jeunes années, j’ai pu goûter à la musique « actuelle » et puis très souvent (presque toujours…), j’ai détesté. Alors, loin des boîtes de nuits et des concerts pop rock, j’écoute tranquillement valses et opéras, qui, à mes yeux, ne perdront jamais de leur merveille.  

Impossible de se lasser de la musique classique : Vivaldi, Wagner, Chopin, Tchaïkovski, Strauss, sont éternels. Mon répertoire s’étant étendu ces dernières années, sans jamais m’en ennuyer, me voilà désormais occupée à écouter entièrement des concerts d’André Rieu. Et, par hasard,  Et la valse continue (And the waltz goes on), écrite par Sir Anthony Hopkins il y a des années, apparaît. Sans crier gare, la beauté surgit et éblouit mon oreille.

Mystérieuse puis aventureuse, cette magnifique valse nous rappelle Strauss mais également Vienne.  Le tempo s’accélère puis s’apaise, les violons nous entraînent dans des mélodies déchaînées et simplement nous valsons sans même nous en rendre compte.

La beauté de cette valse réside dans la mélodie mais aussi dans les émotions qu’elle procure. Et n’oublions pas : si cette valse s’inscrit dans la continuité de Strauss et elle apporte tout de même une touche musicale moderne et dramatique. La composition relativement récente de ce morceau me réjouit encore plus que tout le reste. De nos jours, il est complexe de trouver de l’émotion dans la musique comparable à celle procurée par les grands compositeurs ; le classicisme devient contemporain et tout est moche. Oui, moche. Il se peut que mon conservatisme musical (ou conservatisme tout court) soit légèrement poussé, mais en rien exagéré : mis à part dans le passé, où pouvons-nous trouver la beauté ?


Dommage que la musique soit devenue une telle industrie absurde où on n’en fait plus vraiment ; dommage que les musiciens d’aujourd’hui aient perdu la beauté telle qu’elle est réellement ainsi que toute envie de la redécouvrir Mais heureusement que dans ces heures de tristesse et de désespoir, il y a encore assez de vrais artistes pour faire revivre une époque magique qui n’aurait jamais dû disparaître. 



A. H.

19/03/2016

Rome, l'éphémère et l'éternelle (WorldMUN 2016)


Ruines du forum romain

Parce que les étudiants en Politique et Relations Internationales ont les meilleurs passe-temps, ils ont aussi de belles chances de voyager dans des villes magiques et qui souvent deviennent mondiales le temps de quelques jours. Faisant partie des privilégiés, j’ai donc passé une semaine à Rome, dont trois jours dans d’obscures mais dynamiques salles de conférence. Au-delà de cette expérience (plutôt géniale), j’ai pu profiter de la ville et de beaucoup de ce qu’elle avait à offrir.

Le Colisée 
Le Colisée, la place d’Espagne, le Vatican, la Fontaine de Trevi, les ruines romaines, à peu près tout y est passé, même si souvent c’était en accéléré. Loin de l’Angleterre grise et triste, l’Italie m’a offert un temps splendide et un des plus splendides voyages que j’ai pu faire jusqu’ici. Après une audience papale privée réservée aux membres de la conférence, nous avons pu parader dans Rome avec plus de deux mille étudiants du monde entier.

Pape François lors d'une audience privée 
Rome éphémère car le temps passé à découvrir cette magnifique ville était bien trop court. Rome éternelle car on peut réellement sentir l’antiquité des quartiers, des ruines et l’histoire est tangible et remarquable à chaque coin de rue. Dans son éternité, Rome est aussi éphémère, étrangement : les vieilles pierres pourraient disparaître demain ou dans des millions d’années, mais leur passé chargé nous fait croire que ce sera plus tôt que ce que l’on peut croire. Toutefois, ville historique, Rome paraît figée, jamais changeante, malgré les constructions qui souvent gâchent les paysages.

Le Vatican - Place Saint-Pierre
En plein jour comme à la tombée de la nuit, Rome est ancienne, en ruines, mais bien vivante. Après avoir témoigné de la beauté perdue d’un passé disparu, la conférence nous a permis de nous projeter dans le futur et nous voir tous en tant que sauveurs de cette humanité destinée à une fin tragique. Mais ça, c’est une autre histoire.

Ruines romaines

A.     H.


17/03/2016

Le cinéma d'horreur est un genre intérieur.






























Le cinéma d’horreur est un genre intérieur. Les giclures d’hémoglobine de Dario Argento ou les déformations monstrueuses de Cronenberg ne sont que les stigmates sur la pellicule de nos tensions intérieures.  A l’image d’un volume subissant une différence de pression, la carcasse se déforme, se  gonfle, s’étire jusqu'à l’implosion et le couteau qui viendra la transpercer. Alors se dévoile la chair dans sa nudité, la prégnance de l’organe et la pesanteur de la peau. Devant nous le mal se dévoile, enfin, et complètement nu.

Car c’est là où il réside et c’est là où il faut aller le saisir. Ce qu’exorcisent ces films se trouve en nous et les productions très cathos/très ricaines qui montrent ce mal comme une force extérieure dont il faudrait à tout moment se défendre m’ont toujours semblé très artificieuses pour ne pas dire sans intérêt. Michael Myres et le reflet de sa  lame ne m’ont jamais ébloui ou ravi de terreur et les films de Romero n’ont jamais eu pour moi qu’un intérêt simplement politique. La peur viscérale, celle qui vient des tripes qui à l’écran sont évidées, je ne l’ai finalement jamais sentie que dans les chefs-d’œuvre des maîtres italien et canadien.

Au lieu de nous plonger un couteau dans le ventre, de me faire sursauter de frayeur ou écarquiller les yeux d’horreur, ils ont plongé ma propre main armée dans mon ventre ouvert, à l’image du héros de Videodrome. Ils ont joué sur le refoulé, le parricide et l’œdipe dans Rouge profond d’Argento et dans La mouche ils ont foulé au pied nos fantasmes de puissance et la peur de la mort et de la décomposition qu’ils impliquent et qui toujours nous rattrape. Que ça soit dans l’hyper esthétisation de Suspiria ou le surgissement du fantasme dans le réel et l’écran de Videodrome, encore une fois, c’est toujours le reflet du héros  dans la flaque de sang qui m’effraiera plus que son rouge sanglant.

Le mal n’est pas une essence qui rode comme un fantôme, mais une moisissure qui pourrit à l’intérieur. Et c’est seulement en sachant cela que le frisson horrifique peut devenir une pétoche métaphysique.




 V. D.

09/03/2016

The Leftovers



















Alors que nous suivions les tribulations du shérif Kevin Garvey à travers les deux premières saisons de The Leftovers, chaque épisode ou micro événement se voyait rituellement rythmé par une salve de «Hein ? Mais… Pourquoi ? Pourquoi ? », scandée à l’unisson. Et ce « hein ? Mais… Pourquoi ? », C’est là surement le signe de la réussite de ce projet.


De J. J. Abraham...


Contrairement à des « séries paravents » qui comme Lost fondent leur piquant sur l’idée d’une explication finale et totale à une série d’événements plus ou moins absurdes faisant eux-mêmes obstruction avec cette explication, The Leftovers  ne tombe pas dans cet écueil voué à ne créer de final et de total que la déception des spectateurs de la série. Car si The Leftovers  nous plonge dans l’inconnu, les brumes et les mirages mystiques suivant la disparation soudaine et inexplicable de deux pourcent de la population mondiale, c’est uniquement parce que le but final est bien de nous confronter à cette incompréhension vécue par les personnages eux-mêmes.

Nous somme dans le cirage du début à la fin mais c’est alors autant que les personnages qui ont vu leurs proches disparaître et cherchent (comme nous) à trouver une explication, un sens ou juste un prétexte à ces événements. Des dérives sectaires, au refus en bloc de se confronter aux faits, en passant par la folie, chaque personnage se fait alors exemple d’un syndrome du survivant collectif poussant à la violence contre soi et les autres. Et la force de cette expérience qui parait démesurée et aberrante c’est de s’attacher à quelque chose d’universellement vécu : le deuil, son incompréhension et l’incapacité d’accepter l’idée d’une fin et d’une disparition.


...à Sigmund Freud


Et face à cela la déroute ne peut d’abord qu’être totale. La famille Garvey se voit séparée entre une mère endoctrinée par la secte des Guilty Remnant, un père incapable de gérer la situation au point de sombrer dans une folie bordée de mysticisme, un fils parti suivre un gourou spécialiste du câlin et une fille à la violente adolescente contenue et décuplée. La saison 1 finit alors sur un espoir de reconstruction réduit en cendre par une saison 2 qui n’est autre que celle du refoulement, les personnages embarquant pour une petite ville du Texas épargnée par la catastrophe, mais dont la violence comme face à tout refoulement ressurgira par des voies détournées et plus perverses encore.

Les personnages s’enfoncent alors dans le brouillard jusqu’au dernier épisode et jusqu’à une fin de saison  dans laquelle on peut voir une petite lueur d’espérance. L’espoir d’une acceptation fondée sur la famille enfin réunie (on reste dans une série ricaine), mais aussi sur un mystère vécu au quotidien qui n’est pas que celui de la mort et de la disparition mais aussi celui de la naissance et de la vie qu’incarne Mary Jamison et sa maternité quasi miraculeuse. 

V. D.


06/03/2016

Ode à Mademoiselle

Gabrielle parée de ses plus belles créations: tailleur fluide, perles, camélias... 

Tout le monde la connaît, trop peu de gens l’admirent pour la personne qu’elle était vraiment. Gabrielle, orpheline de mère et abandonnée par son père, passe sa jeunesse dans un couvent avec sa jeune sœur. Outre une éducation rigoureuse et un style de vie strict, Gabrielle, lors de ses années à l’abbaye d’Aubazine (Corrèze), acquiert une esthétique. Austère, simple, facile.

Elle grandit en voulant voir Paris, et lorsqu’elle quitte l’abbaye, elle s’y installe et devient chanteuse. Là-bas, on l’appelle Coco. Puis, elle créé des chapeaux, et enfin, s’intéresse aux vêtements. Elle a appris à coudre lors de son temps à Aubazine, et son esthétique austère se sent dans ses créations. Loin des corsets, des robes étouffantes et autres fioritures stylistiques, Coco se démarque par sa simplicité et par sa détermination d’arracher le corps de la femme au monde de la décoration. Matières fluides, pantalons, tailleurs, canotiers, tous ces vêtements féminins sont des révolutions Chanel. Femme forte, implacable, elle ne se laisse pas abattre et créé jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus.

Qu’elle soit nommée Gabrielle, Coco ou Mademoiselle, Chanel n’a jamais été moins que de la passion pour la création, la beauté, la simplicité et la féminité réinventée. Jamais il n’y a eu plus de business que d’amour pour la mode. Si bien sûr, Chanel a été détrônée plus tard par le retour des corsets, notamment avec le New Look de Christian Dior, personne ne l’oublie aujourd’hui et l’essence de son style reste gravée dans l’histoire de la maison de couture de la rue Cambon.

Karl Lagerfeld, aujourd’hui directeur artistique de Chanel, continue d’arborer fièrement l’héritage de Mademoiselle. La simplicité, la beauté, les camélias et les perles n’ont pas été oubliés ; à chaque Fashion Week, nous sommes rappelés de cette grande dame qui a voulu révolutionner la vie des femmes. Elle est présente à chaque défilé, et sait se réinventer à travers les modes et les époques.

Pour moi, et comme pour beaucoup de monde je l’espère, Chanel représente la beauté et la rigueur, l’expression d’une époque et d’une force inouïe, tout cela réuni dans un personnage fantastique, égérie d’un féminisme oublié mais d’une esthétique éternelle. 

A. H.

04/03/2016

Trois romans de Michel Houellebecq




















Trois livres de Houellebecq me sont passés entre les mains : La carte et le territoire alors que j’étais lycéen, Extension du domaine de la lutte cette année et tout dernièrement Les particules élémentaires. A chaque fois, j’en suis ressorti, un goût amer en bouche et un malaise en tête.


 Lecture âpre



Ouvrir un livre de Houellebecq, c’est s’attendre à entrer dans un monde aride dans lequel l’émotion et sa simplicité n’a pas de prise. Un monde aux murs froids et aux horizons obstrués dans lequel on découvre des personnages prisonniers de leurs soliloques intérieurs et d’une empathie ne prenant que pour voie la raison. Ils réfléchissent indéfiniment, avec la violence froide des mathématiques ou de la sociologie, observant le monde qui les entoure comme des observateurs neutres, vidés par trop de vie en société. Ils en tireront des œuvres, des logiciels ou des conclusions douteuses et plus qu’ambiguës mais finiront toujours par retrouver leur solitude fondamentale, cette solitude sans issue qui est celle de Houellebecq lui-même.

Car le style Houellebecq c’est cette même ligne de fond : des paragraphes et vers sur le mode démonstratif, l’étalage douteux morbide et parfois méticuleux de l’autre auquel on n comprend finalement rien, ces dialogues que l’on entend dits par des acteurs berssoniens, absents et pourtant toujours bien vivants, et ces aphorismes aussi durs que concrets qui nous bercent doucement vers  ce cauchemar dont l’étrange familiarité nous frappe violemment.


Réveil douloureux



Partant de là, comment prendre le discours critique qui transpire de tous les textes de Houellebecq? Tous ces personnages auxquels Houellebecq dicte leurs lignes s’opposent au monde moderne, refusent, parfois en l’acceptant avec fatalité, ce que la société légitime. Mais ils ne luttent pas. Ils laissent pourrir les choses d’une opposition passive au culte de la productivité et de la sexualité jusqu’à une xénophobie détestable et mal dissimulée.


Et pourtant, sans prendre le tout, en refusant l’émanation nauséabonde d’une partie de ses discours  se perdant le vide du roman, on peut trouver quelque chose à retirer. L’idée d’un individu qui dans une société qui se fait le chancre de la vie privée, se voit oppressé jusque dans sa sexualité. L’idée d’une domination partout et exercée par tous sur tous. L’idée enfin d’un capitalisme qui n’est pas seulement un moyen de production mais une organisation de la vie sociale génératrice de malaise et de relégation. Car si les personnages se perdent en paroles inutiles et parfois idiotes au possible, c’est plus par claustrophobie que par un trop plein espace à librement combler.

V. D.

01/03/2016

Helsinki


Je ne suis pas vraiment sûre d’où vient ma passion pour la Finlande ; mais, ni une ni deux, après des années d’attente, me voilà dans un avion pour Helsinki. Mes premiers pas hors de l’aéroport se font dans la neige. Génial ! Une bonne nuit de sommeil, et c’est enfin parti pour l’exploration. Au programme: centre ville, musées plus ou moins excentrés, promenades partout, saunas et bons restaurants. 

Tuomiokirkko - Senaatintori

Le centre de la ville est assez concentré, alors finalement on tourne pas mal en rond. Mais ça fait tant plaisir ! Je ne suis pas sûre d’avoir jamais connu une ville si calme, où il n’y a aucun tumulte et tout est si silencieux. On voit les gens s’agiter, mais pourtant ils restent tranquilles. Quelques magasins, et puis rapidement le centre-ville n’a plus aucun de secret. Toutefois, ça n’empêche pas d’y retourner chaque jour (si, si).

Les promenades nocturnes sont toutes illuminées, vu que nous sommes seulement là quelques jours après Noël. Et puis, les températures baissent. De -5 degrés, on descend à -15, puis -27… Et alors, malgré l’air revigorant, impossible de rester plus de trois heures dehors. Donc, il faut s’organiser et arrêter de se promener dans chaque rue qui a l’air sympa. Nous allons voir le monument à Sibelius, compositeur et héros finlandais. Ça prend du temps parce qu’il est introuvable (ou alors on est juste nuls avec une carte). Après quelques jours passés à se balader, nous connaissons déjà presque tout. Mais on ne se lasse de rien, même pas de la neige! 

Parc de l'Esplanade

Mais rien n’est jamais pareil, même si tout reste magique. Étrangement, la neige et le froid rendent la ville encore plus belle, plus éclatante. On ne sent presque pas le froid tellement c’est beau. Les paysages sont tous plus magnifiques les uns que les autres, même les trajets en métro sont agréables. Les lacs sont gelés, le soleil se couche ou se lève.

Vue sur Tuomiokirkko

Helsinki, ce n’est ni Paris, Londres ou Rome. A part l’architecture, on ne se croit pas vraiment dans une ville. Plutôt en pleine campagne, dans un décor doux et rêveur. Peut-être que l’on n’a pas vu le père Noël, mais je sais que si je ne pouvais choisir qu’un seul cadeau à Noël, ce serait de vivre là-bas pour la vie. Que demander de plus lorsque l'on peut se réveiller en face de ça…  

Vuosaari

A.H.


25/02/2016

Allain Leprest




















Ma rencontre avec Leprest fut comme une révélation. A 16 ou 17 ans, je passais dans le bureau de mon père quand j’entendais les premiers vers de SDF. La litanie commence, des mots simples et scandés, et ce mouvement qui avance, au fil de cet acronyme qui devient slogan poétique. On est emporté comme dans un film d’Eisenstein : très vite, très fort guidé, par ce « SDF » qui résonne encore et encore. Et quand la chanson s’achève, doucement sans effet de style, on en ressort déboussolé. Le génie de Leprest est d’avoir transformé ces trois lettres déshumanisantes en un uppercut de poésie dans la gueule de la réalité.


Emotion poétique


Nous voici 3 ou 4 ans après. Depuis j’ai appris que Allain Leprest, que j’ai presque envie d’appeler par son prénom tant il m’est intime, s’est tué en 2011. Entre temps j’ai pu écouter bien plus de cette chanson, pu voir ses performances sur scène disponibles en ligne, et toujours la même émotion poétique me vient en l’écoutant. Fils bâtard d’un Léo Ferré et d’un Brel, il prend de l’un l’engagement poétique et l’autre poésie des petites choses et les sublime dans un grand bain autobiographique.

De Mont-saint Aignan, l’ami de mon père ou Bilou on comprend sa jeunesse, heureuse, libre même si en parti mouvementée. On le revoit courir la campagne dans cette enfance normande dont on ne sait la part fantasmée. On s’émoi pour cet enfant qui a laissé des « arcs en cieux, des carnavaux » et « des notes de musiques impayées » dans la maison de son enfance. Avec Il pleut sur la mer ou Donne-moi de tes nouvelles, on découvre alors la part mélancolique de l’artiste. Cette tristesse  qui naît d’un objet tout simple, d’une gitane paternelle, d’une ivresse passagère ou de la contemplation de la mer.

On ne valse pour rien, répète-t-il à longueur de vers. Et pourtant de tout cela on retire une petite lueur. Un petit espoir. Pas grand-chose, un petit rien, mais qui fait que tout cela n’est pas vain. Même dans « le sac à main de la putain »  ou dans le « dico de grand-mère », rie n’est perdu. On y trouve un peu de joie, un rythme un peu plus chaloupé. La grande musique sauve toujours ce qu’elle perd et enterre.

 


Emotion politique


Car rien n’est perdu, nous dit-il à l’oreille. Toute cette tristesse et cette violence douce que l’on trouve chez Leprest, n’est pas gratuite. Elle est toujours doucement politique et donc dirigée. Jamais de manière putassiére ou propagandiste, mais toujours dans le creux des jolis mots et des jeux de mots. Y a rien qui se passe et son café d’Omaha Beach, ce n’est pas qu’une ballade tristoune, c’est un texte qui parle de nous et du monde dans lequel nous vivons. L’émotion s’enracine dans un notre manière d’être aux choses et son profond dysfonctionnement

Cette poésie du concret on la retrouve alors autant dans ses textes pour Francesca Soleville que dans ses chansons. On la distingue contre un Dieu qui est son meilleur ennemi, ou dans son amour des sans-riens et des sans-droits. Et en cela ses textes ne sont pas des lamentations, ce sont des appels au changement. Car chez lui comme chez tout le monde, les meilleurs poèmes sont des tracts politiques.

V. D










23/02/2016

Les Mille et Une Nuits






Quoi de mieux, après une rude journée, que de se fondre dans la douceur d’une couverture, réchauffé par un bon thé et plongé dans un livre merveilleux? Pas grand-chose, en fait. Alors, ce soir, après avoir couru dans tous les sens toute la journée et m’être bien essoufflée, me voilà plongée dans la lecture des Mille et Une Nuits. Mon aventure avec ce livre commençait il y a quelques semaines, alors que je me perdais dans l’énorme bibliothèque de l’Université et qu’il me fallait quelque chose de nouveau. Un univers que je n’avais jamais exploré auparavant, mais qui ouvrait grand ses portes à tout ceux qui souhaitaient s’y aventurer.

Alors, j’ai pris ce livre, et je l’ai emporté avec moi, là où je peux profiter du silence complet, d’une bonne couverture et d’un bon thé. Les Mille et Une Nuits est un très long récit d’histoires millénaires d’aventures, de sultans, de voyages exotiques, de flamboyances. Tout commence avec un roi qui, ayant été trompé par sa femme, tue celle-ci et son amant, et rend visite à son frère, lui aussi roi d’une contrée lointaine. Une fois arrivé, tout en réfléchissant à sa situation et sa tristesse, il découvre que son frère est victime d’une tromperie similaire. Il décide donc de ne plus jamais avoir confiance dans les femmes, et de se marier chaque jour à une belle vierge, et de la tuer après leur nuit de noces. Jusqu’au jour où Shahrazade, qui n’est pas prête à mourir, déclare qu’elle a de nombreuses histoires à raconter, afin d’éviter son destin malheureux. Suivent mille et une nuits de récits fantastiques impliquant des marchands malchanceux,  des génies disgracieux, et d’autres exotismes.

Le recueil est si agréable, paré d’histoires fantastiques et invraisemblables – comme celle de Sinbad le marchand qui entreprend six voyages, chacun plus incroyable que le dernier. Chacune se lit comme un petit roman que l’on n’a jamais envie de reposer. Je n’ai jamais rien lu de semblable, et de si… magique ? Espérons que ce soit le bon mot. Il faut dire que ce n’est pas vraiment la même chose que Zola et Hugo, qui font partie de mes préférés. Mais un peu d’aventure fait du bien !

Finalement, il me semble correct de dire que les Mille et Une Nuits est une version arabe, plus fabuleuse et prodigieuse que l’Odyssée, celle d’Ulysse qui parcoure les mers pendant presque dix ans avant de revenir chez lui à Ithaque. La femme d’Ulysse, Pénélope, tout comme Shahrazade qui ne souhaite pas mourir, refuse de se marier à Paris, et tisse un portrait d’elle et de son mari chaque jour, et le défait une fois la nuit tombée. Les aventures sont similaires : beaucoup de voyages, de perdition, de magie, de créatures fantastiques. Finalement, chaque petit récit des Mille et Une Nuits est une petite épopée.

Donc, si jamais vous êtes en quête de prodigieuses aventures dans le confort de votre lit et l’ennui de votre routine, rappelez-vous l’existence de ces contes qui, trop rarement lus, méritent toutefois une place toute particulière dans la littérature et qui, avant tout, feront rêver chacun d’entre nous.  


A. H.

20/02/2016

Cent Jours Après l'Enfance





       « Je préférerais concentrer tous mes sentiments et ma passion sur un 
moment de divin bonheur, et souffrir ensuite tant qu’on voudrait »



 




















L’adolescence dans les années 70  en URSS ou plutôt dans un film soviétique des années 70 n’est pas si différente de la nôtre. On est peut être chez les pionniers, forcé à participer à des jeux et activités que l’on prend avec plus ou moins de sérieux, on porte peut-être  sous le col de sa chemise blanche un foulard rouge mais en dessous palpite le même cœur  qui alors se découvre. Un cœur indubitablement russe qui, brutal, se traduit par un visage fermé autant qu’il est bouleversé et ému, mais un cœur dans lequel on se retrouve autant qu’on l’entrevoit.

Lopuhin a 14 ans dans Cents jours après l’enfance (Сто дней после детства). Il a le visage d’un ange, ses cheveux blonds  se confondant avec les blés caucasiens et s’arrachant au vert d’une nature vivifiée par l’été pluvieux. Poseur, comme un héros de Lermontov, le buste gonflé et le regard provocateur, il nous défie d’aimer comme lui il aime, comme on aime à 14 ans « pour la vie, cette vie qui passe l’espace d’un cri ». Devenant lui-même sa propre fiction il pose et compose alors son propre personnage, un moi malhabilement projeté dont pourtant on se sent  si proche. Car cette être qui a coup de faux-semblants est si honnête si juste, aime une jeune fille aux cheveux piquetés de fleur, qui rayonne dans sa liliale candeur et ses regards de piéta : et chacun a aimé une fille comme ça.

Chacun a aimé ou aime encore cette fille-là, diaphane fluide qui échappe à Lopuhin autant qu’elle lui est présente. Il ne peut la posséder face à son concurrent plus grand que lui, mais vainc, dans ce poème à la pureté et aux amours adolescentes par son abnégation involontaire dans cet amour sans issue. L’important ici c’est d’aimer. Une fille, la nature folle et belle, un ami : juste aimer.

Tragédie indolente, et languissante autant que peut l’être une adolescence fantasmée et baignée du halo de la Russie des blés et des  plaines, la fin ne fait pourtant pas de doute. Chacun va remporter  chez soi son amour inaccompli, la haine de ses concurrents. Et le personnage rêveur du sculpteur, derrière lequel on a du mal à ne pas reconnaitre le réalisateur Solviov, rentrera dans sa grande et laide cité soviétique en ayant apporté à ces jeunes gens un peu de son amour des choses élevées.

Et nous, où que vous soyez ou que je sois, nous emporterons un petit bout d’une Russie fantasmée, une chanson d’Aznavour et un souvenir de nous-mêmes qui cent jours (ou plus) après notre adolescence,  n’est pourtant pas encore mort.


V.  D

15/02/2016

Les lumières d'Edimbourg


Lever de soleil sur Arthur's Seat - vue de Calton Hill


L’autre jour, V. et moi-même sommes partis en Ecosse. Edimbourg ! Un petit voyage que nous avions fort attendu. Un tout petit voyage, en effet, qui n’a duré que trois jours. Ah, ces aventures écossaises

Après quelques péripéties stressantes et fatigantes pour atteindre l’aéroport, nous voilà enfin arrivés dans la jolie ville d’Edimbourg. Déjà, nous pouvons apercevoir les premiers paysages, les premières montagnes, ainsi que la mer. Nous logeons dans le plein cœur de la ville, près de tout. Notre but pour ce long weekend : voir à peu près tout, payer le moins de choses possible, et revenir rêveurs.  

Dès le premier soir, nous nous promenons dans la ville sans vraiment savoir où nous allons (cela reste le meilleur moyen d’apprendre à connaître un endroit, nous en avions convenu il y a très longtemps). Nous nous dirigeons dans la vieille ville ; il y a tellement de choses à voir, les lumières de la nuit ne diminuent en rien l’atmosphère calme et dynamique du quartier. Sans vraiment le savoir, nous nous promenons sur le Royal Mile, la grande rue piétonne qui traverse la ville et qui relie le Château d’Edimbourg à Arthur’s Seat. Et puis, nous rentrons, fatigués du long voyage et impatients de commencer un prochain jour de découverte.

Edinburgh's Castle

Le matin, nous nous dirigeons vers la nouvelle ville pour une promenade et une visite de la National Portrait Gallery et des jardins botaniques. Puis, une seconde escapade vers la vieille ville nous fait découvrir à peu près tout ce que nous avions vu la veille, mais d’un angle nouveau, plus vivant.  Comme V. aime crapahuter, nous montons un chemin sinueux pour accéder au château à partir des jardins de Princes Street, et nous redescendons le Royal Mile. Bien déterminés à grimper Arthur’s Seat avant le coucher du soleil, nous faisons une petite pause au Starbucks, et nous voilà repartis. La marche est longue. Je dirais tout de même qu’il faut être en forme pour monter là-haut. Surtout si on veut suivre quelqu’un qui sautille à la vitesse de l’éclair.

Coucher de soleil sur Arthur's Seat

Du haut de la montagne, la vue est imprenable. On ne sait pas trop quelles montagnes on voit, mais il y en a énormément ; la ville est encore ensoleillée mais nous apercevons déjà le soleil qui cherche à se cacher. Heureusement, le temps est parfait.

Et puis, satisfaits du spectacle offert par cette belle nature écossaise, nous rentrons, des étoiles dans les yeux et des fourmis dans les jambes. Le soir, nous découvrons une autre partie de la ville, ainsi que la bibliothèque et l’Elephant House, où la fameuse J.K. Rowling a écrit Harry Potter. Et puis, nous nous fixons comme objectif de grimper Calton Hill pour le lever du soleil le lendemain matin. Après un réveil difficile, nous y parvenons et encore une fois, même si le soleil est un peu feignant et daigne à peine montrer le bout de son nez, le paysage est à couper le souffle.

Alors, après quelques autres balades, nous rentrons dans notre petite maison à Canterbury, Kent. Un peu tristes de repartir, mais ce petit voyage était bien mérité. La ville d’Edimbourg est relaxante, et a cette ambiance étrangement folklorique, certainement due aux nombreux hommes en kilts et cornemuse ou à l’architecture, mais rien n’est plus agréable que de se poser et d’admirer le coucher ou le lever du soleil. Ou de regarder les montagnes, qui sont si loin et pourtant paraissent si proches… Tout cela est tellement magique qu’il nous faudra absolument revenir.

So long, Scotland !


A.     H.