Triste, gris, sale, cru, violent,
dur, froid. Voilà ce qui ressortait y a
quelques années lorsqu’on parlait du cinéma de Bruno Dumont. Oui ce Dumont-là.
Celui qui a tourné la série comique (certes sur Arte) P’tit quinquin, et qui aujourd’hui fait l’amour de la critique avec
son Ma loute au Lucchini luchinesque,
aux gags explosifs et à l’humour dévastateur. C’est pourtant le même bonhomme
qui à chacun des bouts de sa vie de cinéaste tient la caméra et scrute en de
longs plans élégants, des visages taillés aux couteaux et les paysages découpés
par les vents. Le même bonhomme qui en 97 et 99 sortait L’humanité et La vie de
jésus, deux films sur lesquels en bon poseur qui ne veut pas faire comme
tout le monde (surtout s’il est d’accord avec ce tout le monde), je voudrais
parler.
Ses deux premiers films sont
quasiment les mêmes. Ça se passe dans une grande rue d’un petit village du
Nord. Deux gueules y vivent avec leur grasse maman, aux petits soins pour le seul
homme qui leur reste. L’un est un flic à la candeur et l’intelligence douce
d’un agneau, l’autre est un gosse paumé, sans emploi et ne faisant rien de ses
trop longues journées. Le premier enquête sur un crime horrible, l’autre le commettra
par racisme, chagrin d’amour, par ennui.
Derrière ces facies fermés, crépite,
frémit, fermente leur ressentiment pour un monde vide où l’on tourne en rond et
croise les mêmes personnes. Tout est aussi banal que fatal et de la mécanique
de leurs mouvements, la caméra scrutatrice de Dumont décèle comme chez les modèles
bressonniens les signes trahissant une vie enfuie. Ça tourne en rond, et les
mêmes plans se répètent sans jamais être les mêmes, motif répété à l’envie de scènes
d’amour cru et creux ou de virées assourdissantes en mobylette.
Ce que filme Dumont, ce qu’il épie
dans les moindres palpitements de l’épiderme, dans les tics involontaires de ses
acteurs, c’est un poids invisible qu’ils trainent malgré eux. Le poids du désœuvrement,
de l’absence de tout divertissement, de la finitude et de la mort qui leur fait
face dans ses grands ciels et ces longs paysages mornes où se dispute des dégradés
d’un vert mouillé. Baigné de lumière comme chez Hopper, ces figures christiques
n’ont plus qu’à porter leur croix. La croix d’un passé douloureux, d’un grand
père fameux, et de son désir irréalisable envers Domino dans L’humanité, la croix d’un futur
inexistant dans La vie de jésus.
Pas de révolte possible, juste
des soubresauts et ses victimes collatérales. Et dans les yeux de Dumont
toujours un humanisme, forcené pour ces personnages dont il cherche à sentir la
vérité et l’enfermement. Et en cela son cinéma comme tout cinéma est politique.
Il cherche l’individu dans sa nudité et sa misère, et en fait un martyre. La misère
sexuelle est intellectuelle dans un monde où la seule fenêtre sur l’extérieur est
une télévision mal réglée, sont alors autant de clous invisibles et l’inertie
de sa caméra autant d’impossibles changements. Dans le monde Dumont, les sexes
doivent se rencontrer et les grèves se terminer. Au mieux on peut tout juste s’enfuir
dans l’herbe ou s’écraser la face contre terre.
Victor
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