25/05/2016

Les premiers Dumont



Triste, gris, sale, cru, violent, dur, froid.  Voilà ce qui ressortait y a quelques années lorsqu’on parlait du cinéma de Bruno Dumont. Oui ce Dumont-là. Celui qui a tourné la série comique (certes sur Arte) P’tit quinquin, et qui aujourd’hui fait l’amour de la critique avec son Ma loute au Lucchini luchinesque, aux gags explosifs et à l’humour dévastateur. C’est pourtant le même bonhomme qui à chacun des bouts de sa vie de cinéaste tient la caméra et scrute en de longs plans élégants, des visages taillés aux couteaux et les paysages découpés par les vents. Le même bonhomme qui en 97 et 99 sortait L’humanité et La vie de jésus, deux films sur lesquels en bon poseur qui ne veut pas faire comme tout le monde (surtout s’il est d’accord avec ce tout le monde), je voudrais parler.

Ses deux premiers films sont quasiment les mêmes. Ça se passe dans une grande rue d’un petit village du Nord. Deux gueules y vivent avec leur grasse maman, aux petits soins pour le seul homme qui leur reste. L’un est un flic à la candeur et l’intelligence douce d’un agneau, l’autre est un gosse paumé, sans emploi et ne faisant rien de ses trop longues journées. Le premier enquête sur un crime horrible, l’autre le commettra par racisme, chagrin d’amour, par ennui.

Derrière ces facies fermés, crépite, frémit, fermente leur ressentiment pour un monde vide où l’on tourne en rond et croise les mêmes personnes. Tout est aussi banal que fatal et de la mécanique de leurs mouvements, la caméra scrutatrice de Dumont décèle comme chez les modèles bressonniens les signes trahissant une vie enfuie. Ça tourne en rond, et les mêmes plans se répètent sans jamais être les mêmes, motif répété à l’envie de scènes d’amour cru et creux ou de virées assourdissantes en mobylette.

Ce que filme Dumont, ce qu’il épie dans les moindres palpitements de l’épiderme, dans les tics involontaires de ses acteurs, c’est un poids invisible qu’ils trainent malgré eux. Le poids du désœuvrement, de l’absence de tout divertissement, de la finitude et de la mort qui leur fait face dans ses grands ciels et ces longs paysages mornes où se dispute des dégradés d’un vert mouillé. Baigné de lumière comme chez Hopper, ces figures christiques n’ont plus qu’à porter leur croix. La croix d’un passé douloureux, d’un grand père fameux, et de son désir irréalisable envers Domino dans L’humanité, la croix d’un futur inexistant dans La vie de jésus.


Pas de révolte possible, juste des soubresauts et ses victimes collatérales. Et dans les yeux de Dumont toujours un humanisme, forcené pour ces personnages dont il cherche à sentir la vérité et l’enfermement. Et en cela son cinéma comme tout cinéma est politique. Il cherche l’individu dans sa nudité et sa misère, et en fait un martyre. La misère sexuelle est intellectuelle dans un monde où la seule fenêtre sur l’extérieur est une télévision mal réglée, sont alors autant de clous invisibles et l’inertie de sa caméra autant d’impossibles changements. Dans le monde Dumont, les sexes doivent se rencontrer et les grèves se terminer. Au mieux on peut tout juste s’enfuir dans l’herbe ou s’écraser la face contre terre. 

Victor

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