24/04/2016

Downton Abbey, la fin d'une ère

Sans spoilers, affiche de la première saison

La fin d’une ère… peut-être pas pour vous, pas non plus pour la télévision ni les drames historiques, peut-être pour personne en fait, mais pour moi certainement. Je ne me rappelle pas exactement pourquoi j’ai commencé de regarder cette série, ni quand, mais il me semble que cela remonte à deux ans, lorsque j’étais en prépa (il faut bien se divertir de temps en temps). Alors, il y a deux ans, j’ai regardé les trois premières saisons le plus vite possible. Parce que tout était déjà là, comment me restreindre ?
Impossible en effet d’éviter l’excitation d’un nouvel épisode ou d’une nouvelle saison. Et pourtant, je ne pense qu’aucune série n’a eu le même effet sur moi que celle-ci. Si vous n’en avez jamais entendu parler : tout d’abord, et je tiens à le dire, quelle honte. Ensuite, c’est pas très grave, vous pouvez y remédier. Rapidement. Maintenant.
Downton Abbey est un drame historique qui commence pile poil lorsque le Titanic coule pour de vrai, en 1912, et suit les évènements quotidiens d’une famille d’aristocrates britanniques et de leurs domestiques, en temps de paix et de guerre, jusqu’à la fin de l’année 1925. A mon avis (très objectif), cette série a un peu tout ce qu’il faut. De la politique, du drame british bien caractéristique, des histoires d’amour, des manigances et de l’humour (surtout celui de Lady Grantham, interprétée par Maggie Smith, notre bien-aimée McGonagall). Beaucoup de tristesse aussi…
Il ne faut pas se mentir, cette série absolument géniale a certainement eu raison de la plupart de mes larmes ces dernières années. Si ce n’est 90%. Après des années de n’avoir jamais voulu qu’elle se termine, voilà que ce soir, après avoir attendu quelques mois avant d’avoir le courage de regarder le dernier épisode, finalement la fin est là. Et elle m’accable. La sixième et dernière saison est peut-être la plus émotionnelle de toutes : si j’ai pu pleurer lors des autres saisons (préparez les mouchoirs pour la troisième), ça n’a jamais été aussi régulier que pour celle-ci, où mes pauvres yeux y passaient à chaque épisode. Trop de souvenirs, d’émotions.
Même si je ne peux que jeter des fleurs sur absolument tout (la réalisation, les dialogues, les costumes, et les acteurs), il faut quand même admettre que cette dernière saison était très bien organisée pour pouvoir permettre une fin heureuse à tous les personnages. On ne s’y attendait pas vraiment, mais tout finit bien. Finalement, à Downton, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, on trouve des solutions à tous les problèmes et la modernité s’installe tranquillement dans un monde fixé dans des traditions datées.
Les personnages ont grandi et ont souffert (moi aussi), et je pense qu’il est absolument intéressant et excitant de les voir évoluer dans un contexte historique que l’on peut facilement identifier. On apprend beaucoup. Mais surtout, on rigole, on est triste, et puis très souvent, je pleure. Il est fascinant également de voir évoluer dans leur « habitat naturel » une famille et des domestiques d’une manière que l’on n’aurait jamais pu imaginer avant, ainsi que leur interactions sociales et personnelles.
Il est fort probable que mes réactions soient un peu too much. Je ne sais pas trop pourquoi. La seule chose que je peux dire est : si vous n’avez rien à faire, si vous avez quelque chose à faire, arrêtez tout dans votre vie, et regardez cette série. Elle pourra vous faire rire et pleurer (ou rigoler en vous étouffant dans vos pleurs, ça marche aussi), et vous aimerez quand même. Et puis disons que les acteurs et les paysages sont plutôt pas mal non plus.

Highclere Castle en Angleterre, ou "Downton Abbey"


A. H


06/04/2016

Eisenstein à la moulinette freudienne




















La lecture de la « psychobiographie » d’Eisenstein de l’académicien Jérôme Fernandez a été pour moi l’occasion de me replonger dans la filmographie du plus grand génie russe du cinéma. Eisenstein, dont le cinéma (d’autant plus aujourd’hui) est un des seuls cinémas proprement révolutionnaire mais aussi un cinéaste dont la révolte se loge au plus profond de son intimité. Et en ces périodes d’ébullition dans la capitale française, voir Octobre et les soldats se préparer à la prise du palais d’hiver littéralement à deux pas de mon appartement pétersbourgeois, semble un clin d’œil amusé.

Eisenstein c’est la révolution, la confrontation des images, une dialectique montée au rythme d’un train soviétique dont jaillit le grand soir, un petit bout de vrai dans le gris des fumées des usines pétersbourgeoises. Ce sont des mouvements qui au lieu de s’élancer dans le vide, se confrontent entre eux, et par leurs étincelles mettent le feu à la poudre entreposée par les années d’un empire paternaliste. Tantôt d’une pureté et d’une clairvoyance matérialiste, tantôt d’un lyrisme quasi mystique, son cinéma autant que ses textes à la culture éclectique, réussi alors un tour de force. Il pointe au fond de nous, le refoulé, le contenu et donne pour échappatoire la sublimation de ces désirs dans le jaillissement d’une une révolution fantasmée, violente mais libératrice.

Et c’est là un des tours de force de Jérôme Fernandez, de nous montrer comment cette glorification de la révolution, et cette conviction de la nécessité du renouveau exorcisent des hantises intimes bien loin des masses et de leur inéluctable mouvement historique. Que ce soit dans la Potemkine qui fend canon dressé, la flotte qui finalement se rallie à lui, dans le plus que parlant bec de l’écrémeuse duquel surgit enfin la goutte de lait tant attendue, ou enfin la déconstruction puis la reconstruction de l’immense statue du Tsar Alexandre, l’auteur voit l’image du père défaillant et pourtant impossible à remplacer, le conduisant à contenir une sexualité s’exprimant alors de manière détournée dans la glorification du jaillissement de la révolution.

Et loin de diminuer la portée de l’œuvre d’Eisenstein, et même si on peut relativiser cette propention toute freudienne à trouver à peu près n’ importe où des symboles phalliques, le bouquin de Fernandez tente de percer le mystère de la création et l’approche de près. Loin du « souffle divin » grecque, l’originalité formelle d’Eisenstein qui nous montre encore aujourd’hui que l’héritage petit bourgeois de Griffith n’est pas la seule à pouvoir fonder le cinéma, se niche au plus profond de la psyché du créateur. Alors si vous êtes un admirateur d’Eisenstein et si vous voulez comprendre d’un peu plus près la création qui bien souvent naît de considération bien concrète, plongez-vous dans l’œuvre d’Eisenstein mais lisez aussi cette biographie. La cinéphilie ce n’est pas qu’avaler des films c’est aussi savoir les lire.

V. D.