La lecture de la « psychobiographie » d’Eisenstein
de l’académicien Jérôme Fernandez a été pour moi l’occasion de me replonger
dans la filmographie du plus grand génie russe du cinéma. Eisenstein, dont le
cinéma (d’autant plus aujourd’hui) est un des seuls cinémas proprement
révolutionnaire mais aussi un cinéaste dont la révolte se loge au plus profond
de son intimité. Et en ces périodes d’ébullition dans la capitale française,
voir Octobre et les soldats se préparer à la prise du palais d’hiver littéralement
à deux pas de mon appartement pétersbourgeois, semble un clin d’œil amusé.
Eisenstein c’est la révolution, la confrontation
des images, une dialectique montée au rythme d’un train soviétique dont jaillit
le grand soir, un petit bout de vrai dans le gris des fumées des usines pétersbourgeoises.
Ce sont des mouvements qui au lieu de s’élancer dans le vide, se confrontent
entre eux, et par leurs étincelles mettent le feu à la poudre entreposée par
les années d’un empire paternaliste. Tantôt d’une pureté et d’une clairvoyance matérialiste,
tantôt d’un lyrisme quasi mystique, son cinéma autant que ses textes à la
culture éclectique, réussi alors un tour de force. Il pointe au fond de nous,
le refoulé, le contenu et donne pour échappatoire la sublimation de ces désirs dans
le jaillissement d’une une révolution fantasmée, violente mais libératrice.
Et c’est là un des tours de force de Jérôme Fernandez, de
nous montrer comment cette glorification de la révolution, et cette conviction
de la nécessité du renouveau exorcisent des hantises intimes bien loin des
masses et de leur inéluctable mouvement historique. Que ce soit dans la
Potemkine qui fend canon dressé, la flotte qui finalement se rallie à lui, dans
le plus que parlant bec de l’écrémeuse duquel surgit enfin la goutte de lait
tant attendue, ou enfin la déconstruction puis la reconstruction de l’immense
statue du Tsar Alexandre, l’auteur voit l’image du père défaillant et pourtant
impossible à remplacer, le conduisant à contenir une sexualité s’exprimant alors
de manière détournée dans la glorification du jaillissement de la révolution.
Et loin de diminuer la portée de l’œuvre d’Eisenstein, et
même si on peut relativiser cette propention toute freudienne à trouver à peu
près n’ importe où des symboles phalliques, le bouquin de Fernandez tente de
percer le mystère de la création et l’approche de près. Loin du « souffle
divin » grecque, l’originalité formelle d’Eisenstein qui nous montre
encore aujourd’hui que l’héritage petit bourgeois de Griffith n’est pas la seule
à pouvoir fonder le cinéma, se niche au plus profond de la psyché du
créateur. Alors si vous êtes un admirateur d’Eisenstein et si vous voulez
comprendre d’un peu plus près la création qui bien souvent naît de considération
bien concrète, plongez-vous dans l’œuvre d’Eisenstein mais lisez aussi cette
biographie. La cinéphilie ce n’est pas qu’avaler des films c’est aussi savoir
les lire.
V. D.
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