28/05/2016

Mes parents sont des espions: The Americans



Un autre moyen d’appréhender l’histoire de la Guerre Froide, et une nouvelle bonne excuse pour passer des heures à ne rien faire (ça fonctionne), la série The Americans de FX est vintage, rafraîchissante, même si un peu stressante. Elle raconte l’histoire de deux agents soviétiques du KGB sous couverture aux Etats-Unis au début des années 1980. Elizabeth et Philip Jennings n’existent pas vraiment ; c’est une identité qu’ils ont adoptée pour passer inaperçu et voler des informations au gouvernement américain, qu’ils transmettent ensuite à leur pays pour que la guerre silencieuse continue.

Avec deux enfants, Paige et Henry, qui ne savent rien de cette réelle identité, garder le secret s’avère encore plus difficile. Elizabeth et Philip mènent une double vie, entre la maison, leur supposé travail en tant qu’agents de voyage, et leurs nombreuses missions plus ou moins dangereuses que leur gouvernement leur demande d’accomplir. La série commence avec l’emménagement d’un agent du FBI, Stan Beeman, en face de chez eux, et il devient un peu plus difficile de jouer le jeu et de ne pas se faire repérer. Mais les russes, bien entraînés, ne se font pas avoir et malgré les premiers doutes de Beeman, une vraie « amitié » semble se développer.

J’admets qu’il est possible de trouver cette histoire farfelue, mais elle est basée sur des faits réels et qui ne se sont pas arrêtés à la fin de la Guerre Froide : le programme des Illégaux du KGB a atteint son apogée aux Etats-Unis en 2010. Et la Guerre était loin d’être terminée (que l’on croit). Certes, l’histoire est romancée, mais on peut tout de même comprendre les enjeux des déguisements, des missions, des mensonges. Si les américains sont connus pour être (un peu trop) patriotes, les russes ne le sont pas moins, mais dans un sens un peu plus profond et bien plus sérieux. Se battre pour la cause, jusqu’à en mourir, voilà ce à quoi les agents du KGB hyper-entraînés se préparent.

Je ne pourrais pas assez recommander cette série. Elle est d’un sérieux qui dépasse l’entendement, et on ne peut qu’admirer l’agilité des « américains » à se construire une vie de rien, à en vivre plusieurs à la fois pour ne pas compromettre leur identité, à admirer leur agilité physique et mentale également, car rien ne leur échappe.

L’ignorance des enfants toutefois, fait un peu de peine à voir : ils pensent que leurs parents sont toujours en train de travailler et ne les aiment pas, et ne comprennent pas pourquoi ils sont ainsi abandonnés chaque soir sous prétexte qu’ils doivent retourner au bureau, alors que réellement leurs parents protègent une chose qui leur est chère, et encore plus que leurs enfants, la cause.

La force de l’idéologie est impressionnante, que ce soit du côté russe ou américain. Il ne faut jamais se relâcher, jamais cesser d’avoir peur et d’être méfiant, car au moindre relâchement, tout peut être terminé, et les opérations compromises, ainsi que leur identité et leur famille. Keri Russell et Matthew Rhys, qui jouent Elizabeth et Philip, sont particulièrement surprenants et justes dans leurs rôles et ne cessent de m’étonner à chaque rebondissement. Ça donnerait presque envie de se prendre des coups pour défendre son pays (ou de voir d’autres gens se prendre des coups pour défendre leur pays, dans le confort de son canapé).


A.     H. 

25/05/2016

Les premiers Dumont



Triste, gris, sale, cru, violent, dur, froid.  Voilà ce qui ressortait y a quelques années lorsqu’on parlait du cinéma de Bruno Dumont. Oui ce Dumont-là. Celui qui a tourné la série comique (certes sur Arte) P’tit quinquin, et qui aujourd’hui fait l’amour de la critique avec son Ma loute au Lucchini luchinesque, aux gags explosifs et à l’humour dévastateur. C’est pourtant le même bonhomme qui à chacun des bouts de sa vie de cinéaste tient la caméra et scrute en de longs plans élégants, des visages taillés aux couteaux et les paysages découpés par les vents. Le même bonhomme qui en 97 et 99 sortait L’humanité et La vie de jésus, deux films sur lesquels en bon poseur qui ne veut pas faire comme tout le monde (surtout s’il est d’accord avec ce tout le monde), je voudrais parler.

Ses deux premiers films sont quasiment les mêmes. Ça se passe dans une grande rue d’un petit village du Nord. Deux gueules y vivent avec leur grasse maman, aux petits soins pour le seul homme qui leur reste. L’un est un flic à la candeur et l’intelligence douce d’un agneau, l’autre est un gosse paumé, sans emploi et ne faisant rien de ses trop longues journées. Le premier enquête sur un crime horrible, l’autre le commettra par racisme, chagrin d’amour, par ennui.

Derrière ces facies fermés, crépite, frémit, fermente leur ressentiment pour un monde vide où l’on tourne en rond et croise les mêmes personnes. Tout est aussi banal que fatal et de la mécanique de leurs mouvements, la caméra scrutatrice de Dumont décèle comme chez les modèles bressonniens les signes trahissant une vie enfuie. Ça tourne en rond, et les mêmes plans se répètent sans jamais être les mêmes, motif répété à l’envie de scènes d’amour cru et creux ou de virées assourdissantes en mobylette.

Ce que filme Dumont, ce qu’il épie dans les moindres palpitements de l’épiderme, dans les tics involontaires de ses acteurs, c’est un poids invisible qu’ils trainent malgré eux. Le poids du désœuvrement, de l’absence de tout divertissement, de la finitude et de la mort qui leur fait face dans ses grands ciels et ces longs paysages mornes où se dispute des dégradés d’un vert mouillé. Baigné de lumière comme chez Hopper, ces figures christiques n’ont plus qu’à porter leur croix. La croix d’un passé douloureux, d’un grand père fameux, et de son désir irréalisable envers Domino dans L’humanité, la croix d’un futur inexistant dans La vie de jésus.


Pas de révolte possible, juste des soubresauts et ses victimes collatérales. Et dans les yeux de Dumont toujours un humanisme, forcené pour ces personnages dont il cherche à sentir la vérité et l’enfermement. Et en cela son cinéma comme tout cinéma est politique. Il cherche l’individu dans sa nudité et sa misère, et en fait un martyre. La misère sexuelle est intellectuelle dans un monde où la seule fenêtre sur l’extérieur est une télévision mal réglée, sont alors autant de clous invisibles et l’inertie de sa caméra autant d’impossibles changements. Dans le monde Dumont, les sexes doivent se rencontrer et les grèves se terminer. Au mieux on peut tout juste s’enfuir dans l’herbe ou s’écraser la face contre terre. 

Victor

02/05/2016

A la recherche de l'identité: Persépolis


  

Je n’aime pas les BD. Les comics. Peu importe le nom que cela prend. J’ai lu les Schtroumpfs, certes, et c’était fort amusant. Mais c’est tout. J’ai toujours préféré les romans, même pour les histoires les plus simples. Une bande dessinée ne se prend pas au sérieux, et ça ne peut pas être assez riche pour me satisfaire. Quand on préfère lire Zola, l’absence de toute réflexion et de longs paragraphes est plutôt angoissante. Mais voilà, c’est (presque) forcée que j’ai dû ouvrir celle-ci, Persépolis. Ecrite entre 2000 et 2003 par Marjane Satrapi, elle retrace une histoire supposée autobiographique de l’auteure, son enfance en Iran puis son exil en Autriche, et enfin son retour au pays natal.

Comme au fond de moi je suis un peu réactionnaire et que je pense que la littérature doit s’écrire et non se dessiner, la forme m’a déplu, même si pour des raisons plutôt profondes elle fait sens. Je dois dire que je suis légèrement déçue, car cette histoire aurait pu être développée et approfondie. Toutefois, elle m’a touchée.

La petite Marji grandit lors de la Révolution Islamique, dans un pays centré sur la religion et l’oppression. Elle reçoit une éducation française, libérée de tout précepte islamique. Lorsque tout change, elle doit sacrifier son identité et son apparence pour correspondre à des standards établis par l’état. Mais même voilée, Marjane ne cache pas son admiration et son amour de la culture de masse américaine et ses idoles. La violence augmente, et ses parents décident de l’envoyer en Autriche, là où elle pourra être saine et sauve. Là-bas, Marjane découvre un autre monde, une autre culture, et essaye de se forger une identité en imitant les autres et en se conformant à ce qu’elle voit, même si ce n’est pas toujours le même chemin à prendre. Elle se drogue, fume, se « libéralise », mais elle se demande finalement si elle sait très bien qui elle est. Etre en exil, sans sa famille, se retrouver dans un entre-deux culturel et politique, est-ce finalement bien bon pour se découvrir soi-même ? Surtout que pour Marjane, cette recherche d'identité s'effectue à deux niveaux: elle cherche à découvrir à quelle culture elle appartient, mais aussi quelle sorte de femme elle est et veut être. 

Même si je ne suis personne de juger de cette question parce que je n’ai jamais vécu dans de telles circonstances, je répondrais toutefois qu’il est complexe de se construire lorsqu’on vit dans des environnements si contradictoires. Alors qu’on ne sait même pas où se trouve notre foyer, comment savoir qui on est réellement ? Marjane cherche son identité mais ne la trouve pas tout de suite, la construction prend du temps et est douloureuse.

La lecture de cette bande dessinée me laisse perplexe. J’ai vraiment apprécié l’histoire et le message qu’elle transporte, mais je suis déçue de ne pas avoir obtenu plus de cette lecture. Toutefois, je suis finalement plutôt contente d’être sortie de mes habitudes et d’avoir essayé quelque chose de nouveau et qui, malgré ses « défauts », m’a énormément émue !


A.     H.