25/02/2016

Allain Leprest




















Ma rencontre avec Leprest fut comme une révélation. A 16 ou 17 ans, je passais dans le bureau de mon père quand j’entendais les premiers vers de SDF. La litanie commence, des mots simples et scandés, et ce mouvement qui avance, au fil de cet acronyme qui devient slogan poétique. On est emporté comme dans un film d’Eisenstein : très vite, très fort guidé, par ce « SDF » qui résonne encore et encore. Et quand la chanson s’achève, doucement sans effet de style, on en ressort déboussolé. Le génie de Leprest est d’avoir transformé ces trois lettres déshumanisantes en un uppercut de poésie dans la gueule de la réalité.


Emotion poétique


Nous voici 3 ou 4 ans après. Depuis j’ai appris que Allain Leprest, que j’ai presque envie d’appeler par son prénom tant il m’est intime, s’est tué en 2011. Entre temps j’ai pu écouter bien plus de cette chanson, pu voir ses performances sur scène disponibles en ligne, et toujours la même émotion poétique me vient en l’écoutant. Fils bâtard d’un Léo Ferré et d’un Brel, il prend de l’un l’engagement poétique et l’autre poésie des petites choses et les sublime dans un grand bain autobiographique.

De Mont-saint Aignan, l’ami de mon père ou Bilou on comprend sa jeunesse, heureuse, libre même si en parti mouvementée. On le revoit courir la campagne dans cette enfance normande dont on ne sait la part fantasmée. On s’émoi pour cet enfant qui a laissé des « arcs en cieux, des carnavaux » et « des notes de musiques impayées » dans la maison de son enfance. Avec Il pleut sur la mer ou Donne-moi de tes nouvelles, on découvre alors la part mélancolique de l’artiste. Cette tristesse  qui naît d’un objet tout simple, d’une gitane paternelle, d’une ivresse passagère ou de la contemplation de la mer.

On ne valse pour rien, répète-t-il à longueur de vers. Et pourtant de tout cela on retire une petite lueur. Un petit espoir. Pas grand-chose, un petit rien, mais qui fait que tout cela n’est pas vain. Même dans « le sac à main de la putain »  ou dans le « dico de grand-mère », rie n’est perdu. On y trouve un peu de joie, un rythme un peu plus chaloupé. La grande musique sauve toujours ce qu’elle perd et enterre.

 


Emotion politique


Car rien n’est perdu, nous dit-il à l’oreille. Toute cette tristesse et cette violence douce que l’on trouve chez Leprest, n’est pas gratuite. Elle est toujours doucement politique et donc dirigée. Jamais de manière putassiére ou propagandiste, mais toujours dans le creux des jolis mots et des jeux de mots. Y a rien qui se passe et son café d’Omaha Beach, ce n’est pas qu’une ballade tristoune, c’est un texte qui parle de nous et du monde dans lequel nous vivons. L’émotion s’enracine dans un notre manière d’être aux choses et son profond dysfonctionnement

Cette poésie du concret on la retrouve alors autant dans ses textes pour Francesca Soleville que dans ses chansons. On la distingue contre un Dieu qui est son meilleur ennemi, ou dans son amour des sans-riens et des sans-droits. Et en cela ses textes ne sont pas des lamentations, ce sont des appels au changement. Car chez lui comme chez tout le monde, les meilleurs poèmes sont des tracts politiques.

V. D










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